Les mystères de la grotte de Lourdes
de Hermalle-sous-Huy
Face au porche de l'église Saint-Martin se trouve une grotte
de
Lourdes… enclavée dans la Ferme castrale !
En soi, cela n'a rien de surprenant car de nombreuses
localités,
en Europe, ont vu construire sur leur territoire une
grotte-réplique de celle de Massabielle - dite
« Grotte de
Lourdes » - où la jeune Marie-Bernarde
(dite
Bernadette) Soubirous affirma avoir vu apparaitre la Vierge
à 18
reprises entre le 11 février et le 16 juillet 1858.
La popularité de ces évènements fut
énorme,
et les catholiques y trouvèrent une raison de
réaffirmer
leur foi. D'où ces constructions multiples de
grottes la
plupart du temps factices dans ou près d'églises,
de
chapelles ou de calvaires, dans ou à
côté de
cimetières, adossées à des immeubles,
voire sur une colline ou en forêt.
On y trouve parfois - ce qui n'est pas le cas à
Hermalle-sous-Huy - un fragment de la grotte de Massabielle,
rapporté par un pèlerin et qui est inclus dans la
paroi,
comme par exemple dans la grotte de Lourdes qui flanque l'église
Notre-Dame construite en 1871 à Ombret, le village
contigu à Hermalle :
Le fragment est surmonté d'une notice et placé
dans la paroi de la grotte à droite de l'autel.
Aucune de ces grottes n'est donc antérieure à
1858 et
même à 1862, année où une
commission
d'enquête de l'évêché de
Tarbes admit les
apparitions et où commença
l'aménagement de la
grotte de Massabielle et la construction d'une basilique...
Qu'en est-il pour celle de Hermalle ? De quand date-t-elle
exactement ? Qui l'a construite ?
On n'en sait
plus rien !
L'emplacement : un cimetière ?
Les plans cadastraux indiquent que jusqu'en 1856 une prairie
s'étendait entre le mur de façade est du XVIIe
siècle de la Ferme, l'église et les murs
d'enceinte du
cimetière situé sur les flancs du
bâtiment
religieux.
Pour mémoire, la Ferme était alors incluse dans
le
domaine seigneurial dont le propriétaire était Charles
Marie Louis de Potesta d’Engismont qui l'avait
acquise en 1853 de
la famille de Warzée d'Hermalle, après le
décès à Ramelot de Charles-Nicolas-Joseph
Warzée baron d'Hermalle en 1852.
Donc jusqu'en 1856, une pâture (n° 129)...
Plan du cadastre en 1829.
Cette année-là, le baron de Potesta agrandit la
ferme en utilisant ce terrain n° 129 sauf-
et c'est là que commence le mystère ! - sur une
parcelle de terrain (celle où se trouve la grotte !) de 6,73
m
de large sur 5,78 de profondeur, face au porche de l'église,
que
les
plans cadastraux annoncent subitement transformée en...
cimetière (n° 129a).
Pourquoi donc un cimetière ? Quelqu'un aurait-il
été enterré à cet endroit ?
Même si cela parait logique, nous n'en avons pas
retrouvé de trace écrite... sauf que...
L'ancien propriétaire, le baron de Warzée
d'Hermalle,
avait eu de son premier mariage avec Marie-Josèphe, dite
Joséphine, de Louvrex-Hougardy, un fils : Charles-Eugène-Joseph
de Warzée d'Hermalle qui
était domicilié au château et
décéda
à Liège le 20 janvier 1846 - soit 5 ans et 347
jours
avant son père.
Le faire-part de décès est ainsi rédigé :
Pénétrée de la plus vive douleur, j'ai l'honneur de vous faire part
de la mort de mon très-cher époux, Monsieur
Charles-Eugène-Joseph Baron de Warzée d'Hermalle
Décédé aujourd'hui, à Liège, à l'âge de 37 ans, muni des Sacrements
de notre mère la sainte Eglise.
J'ai la confiance que sa piété et toutes les qualités de son cœur lui
ont valu la récompense réservée aux justes, mais, les décrèts du Très-
Haut étant impénétrables, j'ose le recommander à vos pieux souvenirs.
Adèle Baronne de Warzée d'Hermalle née de Gomzé.
Les Obsèques solennelles auront lieu à Hermalle-sous-Huy, le Mardi 27 Janvier courant
à 10 heures.
On peut supposer que le père fit enterrer ce premier fils
ainé dans le domaine seigneurial, face à
l'église... d'autant que
- il
n'existe plus
de livres de sépulture à Liège pour
cette
période... ce qui ne permet plus de vérifier si
l'homme
décédé à Liège
fut enterré
dans cette ville
- il
ne reste plus de traces de tombe à
Ramelot…
- il existe
une pierre mémorielle au nom de
Charles-Eugène-Joseph qui
était placée au fond… de la
grotte de Lourdes
!
Cette pierre, dont on a longtemps pensé qu'il s'agissait
d'un
cénotaphe... (ce dernier n'étant qu'un monument
funéraire élevé à la
mémoire d'un mort qui a été
enterré
ailleurs ou n'a pas reçu de
sépulture) fut cassée sous le jet du
karcher
utilisé à la fin des années 1980 par
les
villageois qui voulaient nettoyer la grotte ; conservée par
nos
soins, elle aurait dû être rénovée et
réinstallée dans la grotte en 2013 mais les montants des
devis étaient trop élevés pour nos moyens...
Le texte gravé dans la dalle parait tout au moins sans
équivoque : « Sépulture de Monsieur
Charles
Eugène Joseph Baron de Warzée d'Hermalle
».
Il devait donc y avoir une tombe « dans la
prairie » en 1852 avant que l'emplacement ne soit
cadastré cimetière.
Cela expliquerait que l'agrandissement de la ferme en 1856 ait
été réalisé «
autour » de
la parcelle et non… en ligne droite.
La façade de la Ferme derrière la grotte
On note que la façade de la Ferme, due à
l'agrandissement
de 1856, présente encore aujourd'hui tout autour du
cimetière, à 4,40 m du sol, un bandeau horizontal
de
briques en saillie qui, précisément au-dessus du
monument
mortuaire, forme une arcature.
Au-dessus de l'arcature de trouve une allège en pierre de
taille
et 3 baies murées dont la centrale domine les autres en
hauteur,
pile donc dans l'axe du tombeau.
Cette façade, jusque dans les années 1960,
présentait aussi, toujours au-dessus à la
verticale du
monument, de l'arcature et de la baie centrale une importante
élévation terminée par un fronton.
La preuve : l'élévation
est visible sur ces deux photos, celle de droite pouvant être
datée
des années 1960 en raison de la présence d'une
voiture
Ford Anglia. Le clocheton qui semble surmonter le fronton sur
celle
de gauche appartient au château, raison pour laquelle il
n'apparait pas à droite où il est
caché par la
végétation.
L'ensemble semble bien avoir été
pensé pour mettre un tombeau en valeur…
La grotte de Lourdes cache le bas de cette façade qui, en
réalité ne descend pas jusqu'au sol mais un peu
au-dessous de la limite supérieure de la paroi de tuf !
Car cette façade aveugle est celle d'une passerelle en
encorbellement, sur trois voutes en berceau reposant sur des
consoles ! Une passerelle qui permettait de passer, par
l'étage, de la partie agrandie au nord à celle du
sud -
et vice-versa.
La preuve : Une des voutes en berceau sur
consoles photographiée en mai 2013.
On aperçoit à gauche la paroi de la grotte.
En résumé :
Le tombeau
Le monument funéraire se compose d'une dalle de pierre
bleu-gris
dressée verticalement au fond (à quelques
centimètres du
mur de la Ferme) et au centre de l'enceinte ; le sommet et la base
comportent une moulure
rapportée.
Un creux rectangulaire d'une profondeur de 1,5 cm dans un peu plus de
la moitié supérieure de la dalle permet
d'accueillir la plaque de
marbre portant l'inscription gravée.
À
gauche, l'emplacement du tombeau au fond de la grotte.
À droite, les fragments de la plaque de marbre portant
l'inscription
« Sépulture de monsieur Charles Eugène
Joseph Baron De Warzée d'Hermalle
décédé le 20 janvier 1846
R.I.P. enceinte réservée à sa famille
»
La grotte
La grotte a été construite sur l'emplacement de
ce
cimetière, devant la façade en retrait de la
Ferme mais
sans s'appuyer sur elle : il existe un espace entre
l'arrière de
la grotte et le mur de la Ferme.
Elle présente deux cavités : l'une
légèrement excentrée et en hauteur
abrite une
statue de la Vierge ; au fond de l'autre, centrale et d'une profondeur
de 1,7 m, se situe le tombeau.
Le matériau utilisé pour la construction de la
grotte est le tuf calcaire, appelé
aussi travertin, provenant d'une rivière de la
région
hutoise, le Hoyoux ; cette roche sédimentaire calcaire,
légère mais cependant très solide car
elle durcit
avec le temps et résiste à toutes les
intempéries,
a rarement été utilisée en Belgique
pour la
construction de grottes qui sont plutôt faites en blocs de
calcaire de Meuse ou en ciment.
Les morceaux de travertin sont posés avec un mortier
beurré et l'irrégularité de la pose ne
se devine
pas, étant donné l'aspect
concrétionné et
spongieux du tuf.
La grotte, qui se prolonge latéralement par deux parterres
bordés de pierres le long des murs de la Ferme couverts d'un
enduit projeté,
présente aussi des petites poches permettant une
ornementation
végétale.
Des exvotos y sont accrochés, et
un
pique-cierge en fer du XIXe
siècle est toujours encore garni de bougies
allumées par
les dévots - ce qui indique clairement que la
volonté des
proches de Charles-Eugène-Joseph de Warzée
d'Hermalle
n'est plus respectée - la dalle précisant
« Enceinte
réservée à sa famille
»…
Au centre de la parcelle close par une grille à portillon,
une statue de Sainte
Bernadette Soubirous, agenouillée, est orientée
vers la
Vierge. Vierge et sainte ont été
réalisées en ciment.
La rénovation de la place des Combattants (renouvèlement
des conduites d'eau, enfouissement de câbles
électriques, dallage, ajout de mobilier urbain, en cours de
puis
septembre 2012) inclut l'éclairage de la grotte.
En 1990.
En 2019
Pour les Journées du Patrimoine 2019 « Le Patrimoine se
met
sur son 31 », Bernadette a revêtu une nouvelle tenue (dont
les couleurs s'inspirent des photographies prises du vivant de la
sainte) grâce au travail des
bénévoles de l'asbl Syndicat d'initiative de
Hermalle-sous-Huy La
Rawète :
Bibliographie
- Bruno Franco, Geoffrey Houbrechts, Jean Van
Campehout, Éric Hallot et François Petit,
«
Étude géomorphologique des barrages de travertin
du
Houyoux », dans Bulletin
de la Société géographique de
Liège, 50, 2008, p.45-46
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